quarta-feira, 16 de junho de 2010

His Master's Voice











Photo: Ernesto Rodrigues with Guilherme Rodrigues, Romaric Sobac and Alexandre Bellenger



Ces quatre cédés Creative Sources présentent différentes collaborations du responsable du label, le violoniste et altiste Ernesto Rodrigues, avec son fils Guilherme au violoncelle et à la trompette de poche. Comme très souvent chez Creative Sources, pochettes très soignées et environ une quarantaine de minutes. Prise de son excellente et très « rapprochée » donnant un relief étonnant aux manipulations instrumentales « bruitistes ». Oranges (CS 068 -2006), car Bortoukal signifie l’orange (le fruit) en arabe, de même en grec « portokali ». Portugal, vous y êtes. Cette équipe portuguaise qu’on entend au grand complet avec Oren Marshall dans Kinetics déplace le centre de gravité de l’improvisation radicale vers le sud. Les frère et sœur Christine et Sherif Sehnaoui (sax alto et guitare dans Undecided) sont de Beyrouth, tout comme Bechir Saadé (clarinette basse et ney dans Oranges). Wade Matthews vit à Madrid et son passage à Lisbonne est l’occasion d’une belle rencontre. Les deux clarinettes basses et les flûtes de Matthews et Saadé insufflent une véritable sensualité aux bruissements secs et sophistiqués des Rodrigues. Les interventions électroniques de Matthews ajoutent une dimension dynamique bienvenue à part égale avec les instruments. Cette musique mérite vraiment plusieurs écoutes, malgré sa simplicité apparente.
Undecided (CS 072 -2004) mélange les frottés, grattés, percutés etc… du violon et du violoncelle des Rodrigues avec la guitare de Sehnaoui jusqu’ à l’unisson bruitiste. On distingue les égosillements du sax alto et la vibration de l’air du bocal qui clapotte dans cette mare improbable. J’aime particulièrement la fin de la première plage (Sitting on a Fence). On est là très loin de la ligne claire de Drain (CS 075 -2006). Graduation, la première plage est un remarquable exercice vibratoire des sons les plus ténus qui mène à un lent glissando expressif. Ce trio, où on distingue clairement les sons de chaque instrument sans trop savoir lequel, est dans le prolongement des albums de l’année 2002 d’Ernesto Rodrigues. Sudden Music (CS 002), Ficta (CS 005), Assemblage (CS 007) et le quartet de cordes de Contre Plongée (CS 011- 2003) mettaient en valeur les attaques très particulières des cordes du violon et du violoncelle jusqu’au bord du silence. Un son sec, toute la gamme des col legno, coll’arco (sous tous les angles), sul ponticello, sul tasto, avec la mèche, saltellato, battuto, des pinçages, piquements, frottages, harmoniques, l’étirement du son vers un aigu inouï, crissant, évocation du travail des boisselleries dans un atelier d’ébénistes sadiques. Le violon est préparé sur la touche, les cordes vibrent peu, l’archet frotte la pique, les clés, le chevalet, les cordes « avant » les doigts sur la touche. Le ventre de l’instrument crie ou murmure. Une approche sonore inspirée de la musique électronique, reproduisant ses nuances spécifiques. Drain, c’est la quintessence de l’art des Rodrigues illuminé par des pointes de lyrisme (Mathieu Werchowski ?). J’ai toujours le sentiment que les instruments à cordes de la famille des violons se révèlent mieux leur nature profonde qu’en restant entre eux. Drain le conforte une fois de plus. Le très beau Light transite depuis les vitesses concurrentes de chacun à travers des frottements ralentis à l’unisson. Dans la galaxie des improvisateurs radicaux éclairés par l’ex-réductionnisme de Berlin (Axel Dörner, Burkhard Beins), l’ex-London New Silence (Rhodri Davies, Mark Wastell, Phil Durrant), la personnalité de Radu Malfatti et la quartertone trumpet de Franz Hautzinger, Ernesto et Guilherme Rodrigues sont des personnalités de choix et cet album en est une excellente illustration.
Ernesto a une longue expérience de la musique contemporaine qui l’a mené à l’improvisation totale. Il en découle une véritable réflexion esthétique. Bien qu’ils aient des idées et une approche très pointues, les deux Rodrigues s’adaptent avec une véritable ouverture à la musique d’autres improvisateurs. C’est manifeste dans Drain où leurs manipulations bruitistes s’ouvrent naturellement à la personnalité de Mathieu Werchowski. On l’entend aussi dans Oranges, Undecided et Kinetics. Kinetics (CS 043 -2004) est le volet suivant de l’échappée soft-noise entamée dans les albums Kreis (CS 020 -2004) et Diafon (CS 041-2004). Le quintet post-industriel, où l’air du tuba de Robin Hayward complète les sons gris de Carlos Santos, électronique et graphiste maison, évolue avec une belle logique ponctuée de silences et parsemée d’événements sonores concis. On retrouve le percussionniste José Oliveira, présent dès Multiples (CS 001-2000), leur premier album, frottant toujours aussi discrètement la surface de ses peaux et cymbales en symbiose avec ses acolytes. Un art de la retenue et de l’éclatement contrôlé des formes dans lequel les deux cordistes s’intègrent au point qu’on oublie l’instrument. Huit plages – indices enchaînent ou séparent les mouvements d’un flux sonore qui s’apaise et s’agite comme dans un battement de cil. Les instruments se mélangent et se distinguent les uns des autres, ajoutant ou soustrayant des timbres au paysage sonore, unique interlocuteur de leurs gestes ralentis. L’interactivité dialoguiste de l’improvisation libre « traditionnelle » est ici bannie au profit du pendant musical d’un surfacisme pictural privilégiant les gris, les bruns, les noirs. Au diable, les inflexions suggérant la parole et le chant, l’ivresse de la vitesse et les couleurs des fleurs. En considérant l’évolution de la musique d’Ernesto Rodrigues et de sa fratrie à travers les compacts Creative Sources, on peut dire que Drain, leur dernier, est tout à fait bienvenu. Ce serait aussi la meilleure introduction à l’univers de nos deux cordistes portuguais pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de les découvrir.
Jean Michel Van Schouwburg

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