terça-feira, 5 de dezembro de 2017

Le CS Fest XI de Lisbonne comme si vous y étiez





Le CS Fest XI a eu lieu à Lisbonne du 21 au 25 novembre dans la salle O’Culto da Ajuda, traduction approximative : le culte de l’aide, l’occulte de la solidarité. Etienne Brunet y était et en était. Compte-rendu. 
La culture miraculeuse de la musique créative sera bientôt à la mode ! Au pays du Fado résonnera l’intervalle Fa dièse-Do bécarre, la fameuse quarte augmentée, « Diabolus in Musica » de l’improvisation exubérante. CS Fest XI est situé à Belem, vers une des sorties de la « ville blanche » le long du « Rio Tejo » au bout d’une impasse quasi introuvable dans un dédale de petites rues derrière le palais présidentiel. Pas de lumière. Pas de flics. La salle de concert polyvalente orientée musique contemporaine est très bien équipée. Tenue à bout de bras par Miguel Azguime. Deux tiers de scène pour un tiers de gradins. Très haut de plafond. Acoustique fantastique. Le festival est organisé par Ernesto Rodrigues et le label : Creative Source. Le public est composé de passionnés d’improvisation, d’aficionados de la creative music et des gens de l’underground lisboète. Les musiciens écoutent réellement leurs collègues. Ils ne font pas semblant, comme en France, pour s’enfuir dès que possible. Aucun touriste à l’horizon.
Pourquoi No Groove ? Parce que j’avais vendu cette proposition d’article avec ce titre. Je le trouvais super et l’ai utilisé comme nom du groupe avec lequel j’ai joué dans des boites de Lisbonne. J’avais renoncé à écrire un article et puis finalement je fais les deux. « Personne n’a voulu croire en moi, même comme menteur… » (Fernando Pessoa). Confusion créative. Je suis juge et partie. Ce n’est pas déontologique, mais logique en période de crise. No Groove est une sorte de courant d’air musical de free music contemporaine affluent du tempétueux free jazz historique. Une conscience du tempo dissoute dans une nappe sonore brutiste. Un Groove de l’absence. Un No du refus de la musique commerciale.

PREMIER SOIR
Je rentre chez moi passé deux heures du matin. La ville blanche est déserte empêtrée dans un profond brouillard bleuté qui dissout les lumières orange de l’éclairage public. Chaque soir il y a quatre performances. J’occulte les noms de musiciens et vous les donnerai dans le désordre à la fin de l’article. Au lieu d’écrire des généralités sur chaque concert particulier, je vais traiter ce festival comme un gigantesque concert de dix heures, beaucoup de musiciens participaient à trois ou quatre formations différentes. Comment détourner le vibraphone de sa stabilité sonore ? Un frottant des secondes majeures avec un archet au lieu des mailloches et en plaquant des accords complexes. Ensuite la guitare trafiquée semble résonner de la rumeur du bruit des avions qui survolent en permanence Lisbonne, la piste d’atterrissage est juste à une sortie de la ville. Autre écho lointain des gigantesques bateaux porte-containers bourrés des produits en série de la mondialisation. Ensuite Psico-free & Manicômio, un quartet de fous furieux dont la polyrythmie est utilisée comme refus de notre société du spectacle. Pour terminer le Suspensao Ensemble. Suspension du son et des certitudes esthétiques. Les adorateurs du silence sont une dizaine de musiciens à jouer pendant une demi-heure à moins cinquante décibels maximum c’est-à-dire le niveau sonore du tic-tac de votre montre mécanique, triple « ppp » si la chose était écrite. Impression très spectaculaire d’absence d’événements.

DEUXIÈME SOIR
Je n’ai écouté ni le premier ni le troisième groupe parce que je jouais en seconde position avec Miguel Mira, violoncelliste de génie. Tant pis ! Je fais une exception à ma règle d’occultation des noms et vais vous tartiner mon ego… Miguel est le musicien idéal. Nous sommes de la même génération. Vieille école. Nous jouons un free aventureux, virtuose avec une écoute télépathique. Excusez du peu comme dirait un vrai journaliste. J’écris masqué. Je n’y suis pour personne. Dernier concert de la soirée avec les quinze musiciens de la Théorie des cordes, probable référence à la théorie avancée de la relativité générale improvisée par des groupes de violons, violons altos dont Ernesto Rodriguez, l’organisateur et chef discret, violoncelles, contrebasses, guitare, dulcimer et piano. Le matériau sonore très fluide avance comme un monolithe spatial en plein essor dans la bande de fréquence de l’univers.

TROISIÈME SOIR
Le robot Facebook me propose de rester chez moi parce qu’il pleut. Après une longue sécheresse, le pays est en liesse. Je démarre la soirée en jouant avec mon vieil ami, le percussionniste Chico-go-blues. Nous lisons mon texte simultanément en portugais et en français. « L’impro c’est le chaos. Le chaos est les prémices de l’ordre. L’ordre est l’arrivée de la mélodie. La mélodie déclenche le rythme. Le rythme déclenche la vitesse. Accélération démesurée ! Tout se casse la gueule dans un bruit énorme. Mystère de l’entropie. » Magma sonore. Langue intermédiaire à racine latine. Les trois groupes suivants donnent un échantillon de la scène portugaise actuelle multiforme et bouillonnante. Pour finir un extraordinaire trompettiste légendaire et méconnu. J’ai l’impression d’être à Berlin, juste avant la gentrification galopante, même exaltation créative d’artistes enthousiastes prêts à jouer pour le plaisir. Lisbonne quant à elle se fissure petit à petit sous les infiltrations de la mondialisation. L’immobilier grimpe. La pauvreté augmente. Crash Saudade. Scratch Nostalgia. Brutal Nova.

QUATRIÈME JOUR
Free jazz Company, excellent groupe avec un nom synthèse splendide de free jazz et free music. Puis Palimpsest, on gratte la free music pour trouver en dessous le free jazz puis on continue à gratter et on trouve la musique classique. Ensuite le Red Trio, le groupe que j’ai préféré du festival. Ils ressuscitent une sorte de trio FMP que je ne nommerai pas. La bonne musique ne meurt jamais. La musique écrite se transmet par le biais du texte. L’improvisation sublime se transmet par capillarité dans l’air du temps. Soudain la fin d’une improvisation arrive au détour d’une note, évidente autant pour l’auditeur que pour le musicien. Pour terminer IKB ensemble, un autre grand orchestre d’une vingtaine d’instrumentistes spécialisés dans le silence ensoleillé. Impression de vide et de repos, mais tout le monde sait que le silence n’existe pas. A l’écoute de l’enregistrement, si l’on perd le repère fictif du zéro décibel (seuil de référence d’intensité sonore), on découvre le monde microscopique de l’infiniment petit de cellules complexes et d’objets minuscules, inaudibles comme des micros processeurs puissants et quasi invisibles.

DERNIER JOUR
Je passe devant les carreaux de faïence bleutée de la station de métro Parque gravés de citations et dessins. « C’est par la musique qu’a commencée l’indiscipline » (Platon). Ce pourrait résumer ce festival porteur de la musique du proche avenir. La notion de désordre sonore représente tellement notre société que toutes ces musiques à base de boîte à rythmes symbolisent la dictature Mainstream. Dans peu de temps, les futurs auditeurs des médias généralistes auront les oreilles explosées. Ils remplaceront le niveau sonore excessif d’une rythmique dictatoriale par le chaos amusant de l’anarchie sonore de la musique créative jouée à un niveau acoustique modéré. Une sorte de décroissance de la production de musique. Maintenant tous les styles coexistent. Il n’est pas question du combat de l’un contre l’autre, mais de circuits multiples, de démarches parallèles, de tribus organisées. Méfiez-vous : si vous n’y prenez garde, la musique créative pourrait devenir la musique politiquement correcte. En tout cas, la  free music est bien vivante et c’était une surprise, même pour moi. La rage est inexprimable avec un métronome. Elle l’est avec le cri, la dissymétrie, l’informel, le bruit brutal, le kaput play à s’arracher la gorge. Malgré tout, le mauvais esprit de l’absence de rythme est dommageable. Les syncopes restent l’oxygène de la musique.

DERNIER SOIR
Quatre concerts passionnants, avec une pianiste canadienne sublime puis la clôture : le Variable Geometry Orchestra. La quarantaine de musiciens du festival propulsé dans une improvisation grandiose dirigé par Ernesto toujours très calme (c’est le genre de type à boire un café avant d’aller se coucher), un peu à la manière du soundpainting ou de la conduction, mais avec des signes et des règles improvisées comme leur traduction sonore par chaque musicien. Les artistes sont disposés au hasard sur la scène par désordre d’arrivée. Les contrebassistes sont devant les saxos, les quatre batteurs sont placés à chaque coin de la scène. Fin de « variable » sur une longue résonnance décroissante jusqu’au silence… •

Au total vingt concerts. Environ dix heures de musiques diffusées en direct sur YouTube et maintenant archivés sur la page misomusic.com. Étienne Brunet

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